Comment on doit reconnaître un grand cerf par le frayoir

Comment on doit reconnaître un grand cerf par le frayoir. Après je lui veux apprendre à reconnaître un grand cerf par les frayoirs. Car s’il trouve le frayoir du cerf et observe que le bois où il s’est frotté est si gros qu’il ne peut l’avoir ployé, qu’il s’est frotté bien haut, qu’il a émondé et écorché l’arbre bien haut et qu’il a bien haut rompu et tordu de grosses branches, c’est signe qu’il s’agit d’un grand cerf portant la tête haute et bien trochée ou paumée; car avec la trochure qui est droite il brise les hautes branches qu’il ne peut ployer ou tenir sous lui. Or, si le frayoir était léger et que le cerf mette les branches sous lui, cela prouverait que le cerf n’est pas grand, surtout si le fait s’observe constamment; il arrive pourtant qu’un grand cerf se frotte à de petits arbres, mais pas continuellement, tandis qu’un jeune cerf ne se frottera jamais à de gros arbres. Il doit donc regarder plusieurs traces de frottement, et s’il voit les signes dessusdits plus souvent sur de gros arbres que sur des petits, il le peut tenir pour chassable et cerf dix cors. Et si les frayoirs sont tous communément légers et bas, non, car il doit y avoir refus. Je lui veux aussi apprendre à connaître un grant cerf par le lit ou les reposées. On appelle reposées quand un cerf viendra au matin de la pâture et se couchera, puis peu après se lèvera et s’en ira coucher ailleurs pour y demeurer tout le jour. Donc quand le valet viendra au lit du cerf ou à la reposée, et qu’il le verra long et large, et bien foulé, et l’herbe écrasée, et qu’en se levant du lit la bête aura creusé la terre et pressé l’herbe du pied et du genou, c’est qu’il s’agira d’un grant cerf et pesant. Et si ces signes ne se trouvent pas à la reposée, parce qu’il y aura peu demeuré, pourvu que la reposée soit longue et large, il peut juger qu’il s’agit d’un cerf chassable de dix cors. Je lui veux aussi apprendre à connaître un grant cerf par sa façon de porter le bois; car quand un cerf va dans un bois fort et épais, qu’il a la tête haute et large, et qu’il trouve le bois jeune et les rameaux tendres, il a la tête plus forte que le bois; alors il emporte le bois et mêle une branche sur l’autre, car il les porte et met là où ils n’étaient point habituellement de leur nature. Et quand les portées du bois sont larges et hautes, il peut juger qu’il s’agit d’un cerf dix cors chassable, car s’il n’avait haute tête et large, il ne pourrait faire les portées ni hautes ni larges. Et s’il arrive qu’il trouve les portées sans avoir le limier avec lui et ne sache de quand elles datent, il doit mettre son visage au milieu des portées et retenir son haleine le mieux qu’il pourra; et s’il trouve que l’araignée a filé sa toile parmi les portées, c’est signe qu’elles ne sont pas de bon temps et tout au moins qu’elles sont de la relevée de la nuit précédente. Toutefois qu’il aille chercher son limier, car il l’en instruira plus sûrement. Je lui veux aussi apprendre à connaître un grand cerf par les foulées. On appelle foulées du cerf quand il marche en un lieu où l’herbe est épaisse et qu’on ne peut voir la forme du pied, ou quand il marche en un lieu où il n’y a point d’herbe, mais où la poussière et la dureté du sol, des feuilles ou autre chose empêchent de voir la forme du pied. Et quand il marche sur l’herbe et n’observe rien à vue d’oeil, le valet doit mettre sa main dans la forme du pied; et s’il voit que la forme du pied a une longueur de quatre doigts, il le peut juger grand cerf par les foulées; et si la semelle du pied a au moins trois doigts largement, il le peut tenir pour dix cors. Et aussi, s’il voit qu’il pèse bien et rompt bien la terre et presse bien l’herbe, c’est signe qu’il est grand cerf et pesant. Et s’il ne peut s’en rendre compte à cause de la dureté du sol ou de la poussière, il doit se baisser pour ôter la poussière, et souffler sur la forme du pied du cerf jusqu’à ce qu’il la voie bien. Et s’il ne peut l’observer en un lieu, il doit chercher jusqu’à ce qu’il puisse en voir une bien à son aise. Et s’il ne peut en voir en nul lieu, il doit mettre la main sur la forme du pied, car il trouvera alors comment il rompt la terre de chaque côté des ongles du pied, et il le pourra juger pour cerf chassable, ainsi que j’ai dit des foulées de l’herbe. Et s’il y a dedans des feuilles ou autre chose et qu’il ne puisse bien voir, il doit bien les enlever avec la main, sans défaire la forme du pied, et souffler dedans et faire les autres choses dessusdites. Après je lui veux apprendre comment il parlera entre bons veneurs de l’office de vénerie. D’abord, il doit peu parler et peu se vanter et travailler subtilement. Il faut qu’il soit sage et diligent de son métier, mais un bon veneur ne doit pas chanter les louanges de son métier. Si toutefois il advient qu’on en parle entre veneurs, voici ce qu’il doit en dire : tout d’abord, si on lui demande ou s’il parle de la nourriture ou viandées des bêtes, des cerfs et de toutes bêtes rousses, il doit dire viander; et de toutes bêtes mordantes, ours, porcs, loups et autres, manger, comme j’ai dit plus haut. Et si on lui parle des fumées et qu’on l’interroge, il doit appeler fumées celles du cerf, du renne, du daim, du bouc et du chevreuil; quant à celles des ours, des bêtes noires, et des loups, il doit les nommer laissées; celles des lièvres et des lapins, il doit les nommer crottes; celles des renards, des blaireaux et autres bêtes puantes, il doit les nommer fientes, et celles des loutres, épreintes, comme devant est dit. Et si on l’interroge ou qu’on lui parle des pieds des bêtes, il doit appeler les pieds des cerfs voies ou pieds, car l’un et l’autre convient. Ceux de l’ours, du sanglier et du loup, il les doit appeler traces; et ceux du renne, du daim, du chevreuil et du lièvre, il les doit appeler pieds; et ceux des autres bêtes puantes, marches, comme il a été dit. Et s’il a vu un cerf des yeux, il doit reconnaître trois couleurs de poil : l’un est brun, l’autre blond et le troisième fauve. Et ainsi il les peut appeler selon que la couleur lui paraîtra. Et si on lui demande quelle tête a le cerf qu’il a vu, il doit toujours répondre pair et jamais impair, car, si le cerf porte d’un côté dix cors et de l’autre un seul, il doit dire que sa tête est marquée de vingt cors, le plus emportant le moins. Et il dira ainsi, qu’il y ait plus ou moins, toujours un nombre pair. Et tout cor de cerf se peut compter pourvu qu’on y puisse pendre un éperon. Et quand la tête porte autant de cors d’un côté que de l’autre, le valet peut dire qu’elle est formée d’autant de cors qu’elle portera; et quand elle ne porte que d’un seul côté, le valet peut dire qu’elle est marquée d’autant de cors qu’elle portera. Et s’il voit par le pied du cerf ou autres signes dessusdits qu’il est cerf chassable, et qu’on lui demande de quel cerf il s’agit, il doit répondre : « cerf de dix cors », et pas plus. Et s’il semble grand cerf et qu’on lui demande quel cerf c’est, il doit dire : « cerf qui a autrefois porté dix cors, où il n’y a point de refus ». Et s’il l’a bien vu, soit des yeux, soit par les signes dessusdits, et constate qu’il est aussi grand qu’un cerf peut être, si on lui demande quel cerf c’est, il doit dire : « grand et vieux cerf ». Et c’est le plus grand mot qu’il puisse dire, comme j’ai dit plus haut. Et si on lui demande à quoi l’on reconnaît qu’il est grand cerf, il peut dire : « ou parce qu’il fait bon os, ou bon talon, ou bonne sole du pied, ou belles reposées, ou qu’il brise bien la terre, ou qu’il a de belles portées, ou qu’il jette de bonnes fumées », ou tous les autres signes qu’il connaîtra, comme j’ai dit par devant. Et s’il voit un cerf qui ait la tête bien et correctement disposée dans le sens de la hauteur, les cors à égale distance les uns des autres, et qu’on lui demande quelle tête il porte, il doit répondre que le cerf porte une belle tête et bien rangée. Et s’il voit un cerf qui ait la tête grosse de merrain et d’andouillers, bien rangée et bien chevillée, bien haute et bien ouverte, et qu’on lui demande quelle tête il porte, il doit répondre qu’il porte une belle tête, pourvue de tous les signes et bien née. Et s’il voit un cerf qui ait la tête basse, ou haute, ou grêle, ou basse et chevillée et peuplée de petits cors du haut en bas, il doit, si on lui demande quelle tête il porte, répondre qu’il porte la tête bien chevillée selon sa nature, ou basse, ou menue, ou d’autre manière. Et s’il voit un cerf qui ait la tête irrégulière, soit que les andouillers aillent en arrière, soit qu’il ait doubles meules ou autre particularité inhabituelle, si on lui demande quelle tête il porte, il doit répondre qu’il porte une tête contrefaite ou irrégulière, puisqu’elle possède ces irrégularités. Et quand il voit un cerf qui porte la tête haute, ouverte et mal chevillée, avec de longues perches, si on lui demande quelle tête il porte, il doit répondre qu’il porte belle tête et ouverte avec de longues perches, mais qu’elle est mal chevillée et mal rangée. Et quand il voit un cerf qui porte la tête basse et grosse, petitement chevillée, et qu’on lui demande quelle tête il porte, il doit répondre qu’il porte une tête belle et bien chevillée de la façon qu’il est dit. Et si on lui demande à quoi il reconnaît par la tête qu’il s’agit d’un grand et vieux cerf, il doit répondre que les signes du grand cerf par la tête sont les suivants : d’abord quand il a les meules grosses et pierreuses comme de menues pierres, et les meules près de la tête; et les andouillers, qui sont les premiers cors, gros, longs, rapprochés des meules et bien pierreux; et les surandouillers, qui sont les seconds cors, doivent être près des andouillers et de même forme, sauf toutefois qu’ils ne doivent pas être si grands; et les autres cors, gros et longs et bien chevillés et rangés; et la trochure, ou paumure, ou couronne, que j’ai dite devant, haute et grosse; et tout le long, les perches seront grosses et pierreuses et il y aura le long des perches quelques petites vallées qu’on appelle gouttières. Il doit dire alors que c’est en cela qu’on reconnaît le grand cerf par la tête. Après je lui veux apprendre à connaître un grand ours ou un grand sanglier, et à savoir parler entre veneurs de la chasse aux bêtes mordantes. Et s’il voit à propos d’un sanglier qu’il lui semble assez grand sanglier, comme on appelle le cerf chassable cerf dix cors, il doit dire du sanglier porc de trois ans où il n’y a point de refus, et d’un plus jeune, porc de compagnie. Et s’il observe les grands signes que je vais dire, il peut dire qu’il est grand sanglier. J’ai parlé plus haut de la nature et façon des sangliers et autres bêtes; si on lui parle des mangeures du sanglier, il doit dire qu’elles sont proprement appelées de faîne et de gland. Une autre manière s’appelle vermiller : c’est quand ils creusent et renversent la terre du grouin, pour chercher les vers et la vermine de la terre et s’en nourrir. Une autre manière consiste à manger dans les blés et les cultures ou dans les fleurs et autres herbes. Une autre manière encore, c’est quand ils sont affouchés, c’est-à-dire quand ils font de grands trous et vont quérir les racines de la fougère et de l’asperge dans la terre. Et si on lui demande à quoi il reconnaît un grand sanglier, il doit répondre qu’on le reconnaît par les traces, par le lit et par la souille. Et si on lui demande par quoi il distingue le grand sanglier du jeune, et le sanglier de la truie, il doit répondre que le grand sanglier doit avoir les traces longues et les ongles de devant ronds, une large sole de pied, un bon talon et de longs os qui, lorsqu’il marche, entrent profondément en terre et font de gros trous, larges et éloignés l’un de l’autre; car c’est à grand peine qu’on verra par les traces d’un sanglier ce qu’on ne voit point par les os. Et ce n’est pas le cas du cerf, car on verra bien souvent par le pied, sans jamais voir par les os; c’est tout le contraire pour le sanglier, car les os sont plus près du talon que chez le cerf. Ils sont aussi plus longs, plus aigus et plus tranchants; c’est pourquoi dès que ses traces sont empreintes dans la terre on y voit aussi la forme des os. Et volontiers un grand sanglier fait pigache de devant, de derrière ou des deux à la fois, c’est-à-dire qu’un ongle de ses traces est plus long que l’autre. Et quand il verra les signes dessusdits plus grands, il pourra en conclure par les traces que la bête est plus grande, et inversement. Il peut distinguer la truie du sanglier, car une truie ne fait pas si bon talon qu’un jeune porc. Et ses ongles de devant sont plus longs et plus aigus que ceux d’un jeune porc. Et aussi ses traces sont plus ouvertes devant et plus étroites derrière. Et la sole du pied n’est pas si large que celle d’un jeune porc, pour peu qu’il ait deux ans, ni les os de la truie ne sont ni si longs, ni si larges, ni si éloignés l’un de l’autre que ceux du jeune porc, et ils n’entrent pas tant dans la terre, mais ils sont grêles et menus, aigus et courts et plus rapprochés que ceux d’un jeune porc. Et ce sont les signes par quoi l’on distingue par le frayoir.