Du Dogue et de sa nature
Le dogue est une espèce et manière de chien; les uns sont dits dogues gentils, les autres dogues vautres, d’autres encore dogues de boucherie. Les dogues gentils doivent être faits et taillés comme un lévrier en toutes leurs parties, sauf la tête qui doit être grosse et courte. Et bien qu’ils aient toute sorte de poils, le vrai bon poil de dogue et le plus commun doit être blanc, avec une tache noire près de l’oreille; les yeux sont petits et blancs et les narines blanches, les oreilles droites et pointues, et on les arrange ainsi. Il vaut mieux dresser le dogue que toute autre bête, car il est mieux taillé et plus fort pour faire mal que nulle autre bête, et aussi de leur nature les dogues sont volontiers étourdis et n’ont pas si bon sens que beaucoup d’autres chiens; car si l’on poursuit un cheval ils le prennent volontiers et ils vont aux boeufs, aux brebis, aux pourceaux ou à tout autre bétail, ou aux gens, ou à d’autres chiens; j’ai même vu un dogue qui tuait son maître : bref, ils sont plus mal gracieux et plus mal doués, plus fous et étourdis que toute autre espèce de chiens. Et je n’en vis jamais trois qui fussent bien doués et bien bons, car le bon dogue doit courir aussi vite qu’un lévrier, et s’il atteint sa proie il doit y mettre la dent sans lâcher, car un dogue, de sa nature, tient plus fort sa morsure que ne feraient trois lévriers, les meilleurs qu’on puisse trouver. C’est pourquoi c’est le meilleur chien qu’on puisse avoir pour prendre toutes bêtes à tenir fort. Et quand il est bien dressé et parfaitement bon, je tiens que c’est le souverain de tous les chiens, mais on en trouve peu de parfaits. Le bon dogue doit aimer son maître, le suivre et l’aider en tout cas et faire ce qu’il lui commandera, quelque chose que ce soit. Le bon dogue doit aller vite et être hardi à prendre toute bête sans marchander, et tenir fort sans lâcher, bien conditionné et bien soumis à son maître, et quand il est tel, je tiens, comme j’ai dit, que c’est le meilleur chien qui puisse être pour prendre toute bête. Ceux de l’autre espèce, ou dogues vautres, sont taillés comme des lévriers de laide taille, mais ils ont de grosses têtes, de grosses lèvres et de grandes oreilles, et ceux-là servent très bien pour chasser les ours et les porcs, car ils tiennent fort de leur nature. Mais ils sont pesants et laids, et s’ils meurent par le fait d’un sanglier ou d’un ours, ce n’est pas trop grande perte. Mêlés avec de puissants lévriers, ils sont bons, car, quand ils atteignent leur proie, ils la maintiennent immobile. Mais par eux-mêmes ils ne l’atteindraient jamais, si les lévriers ne la mettaient en difficulté. Donc tout homme qui veut pratiquer la chasse des ours et des porcs doit avoir des lévriers, des dogues vautres ou de boucherie et des mâtins, s’il ne peut avoir des autres, car ils tiennent, comme j’ai dit, plus fort que les lévriers. Ceux de l’autre espèce, ou dogues de boucherie, sont tels que vous en pouvez voir tous les jours dans les bonnes villes, où les bouchers en possèdent pour les aider à mener les bestiaux qu’ils achètent au dehors; car, si un bœuf échappe au boucher qui le mène, son chien va le prendre et l’arrêter, jusqu’à ce que son maître soit venu, et il l’aide à le ramener à la ville. Ils sont peu coûteux, car ils mangent les ordures des boucheries; ils gardent aussi l’hôtel de leur maître et sont bons pour la chasse des ours et des sangliers, soit avec des lévriers, au titre, soit avec des chiens courants, aux abois dans les fourrés; car, quand un sanglier se tient en fort pays, de tout un jour, par aventure, les chiens courants ne l’en sauraient chasser. Et quand on lance cette mâtinaille, ou ils le prennent dans son fort ou le font tuer par un homme, ou encore ils lui font vider le pays, car il ne demeurera pas longtemps aux abois. Et ils sont bons aussi pour vautrer de nuit, comme je dirai, quand je parlerai du veneur.