Le Chevreuil

Le Chevreuil est assez commune bête, aussi ne convient-il pas que je le décrive, car il y a peu de gens qui n’en aient vu. C’est une très bonne petite bête et agréable à chasser pour ceux qui savent le faire, comme je le dirai plus avant. Et il y a peu de veneurs qui sachent vraiment sa nature. Ils vont à leurs amours en octobre, et leur rut dure environ quinze jours, mais il ne se fait qu’avec une femelle, car toute la saison le mâle et la femelle demeurent ensemble, comme font les oiseaux, jusqu’au moment où la femelle doit faonner. Et alors la femelle se sépare du mâle et va faonner loin de lui, car le mâle tuerait le faon, s’il le trouvait. Et quand celui-ci est grand, qu’il peut manger de l’herbe et des feuilles et fuir, alors la femelle revient avec le mâle et ils seront toujours ensemble, à moins qu’on ne les tue; et toujours ils se réuniront le plus tôt qu’ils pourront et se rechercheront l’un l’autre jusqu’à ce qu’ils se soient trouvés. La raison pour laquelle ils sont ainsi toujours ensemble, mâle et femelle, contrairement aux autres bêtes, c’est que volontiers une femelle porte deux faons, mâle et femelle; et quand ils sont nés ensemble, toujours ils demeurent ensemble. Et même quand ils ne sont pas nés d’une même mère, leur nature est telle que j’ai dit ci-dessus. Et j’ai pris une femelle qui avait cinq faons dans le corps. Dès qu’ils sont retraits du rut, ils jettent leurs têtes, car vous trouverez peu de chevreuils, s’ils ont passé deux ans, qui ne soient mués à la Toussaint; puis ils refont leurs têtes velues comme le cerf et frayent en mars communément. Il n’y a point de saison pour la chasse au chevreuil, car il ne porte point de venaison, mais on doit renoncer à chasser les femelles, afin de ne pas perdre les faons dont elles sont prises, jusqu’à ce qu’elles aient faonné et que leurs faons puissent vivre sans elles. C’est bonne chasse, car elle dure toute l’année et ils font bonne fuite et plus longue que ne fera un grand cerf en pleine saison. On ne distingue pas les chevreuils par les fumées et difficilement le mâle de la femelle par le pied, comme on fait pour les cerfs. Ils n’ont pas très grand vent et ne prennent pas de graisse, comme j’ai dit, si ce n’est dedans; et la plus grande graisse qu’ils puissent avoir dedans, c’est quand ils ont les rognons couverts de suif. Quand les chiens les chassent, ils tournent dans leur pays et bien souvent esquivent les chiens. Et quand ils voient qu’ils ne peuvent durer ou que les lévriers les ont courus, ils vident le pays et font leur fuite bien longue pour aller mourir, et fuient et refuient le long des chemins bien longuement, et battent les ruisseaux tout à la façon d’un cerf. Et s’il était aussi belle bête et aussi royale que le cerf, je tiens que ce serait plus belle chasse que celle du cerf, car elle dure toute l’année et est très bonne chasse et de grande maîtrise, car ils fuient très bien, et longuement, et malicieusement. Bien qu’ils jettent leurs têtes et frayent, ils ne se couvrent point de leur poil avant le printemps. C’est une bête étrange, car elle ne fait rien comme les autres. Le chevreuil fuit par les villages, au milieu des maisons, car il ne sait où il va, quand il fuit par désespoir. La chair du chevreuil est la plus saine qu’on puisse manger de bêtes sauvages. Ils vivent d’herbes et de gagnages, de vignes et de ronces, de glands, de faînes et de tous autres produits des bois. Quand la femelle a son faon, elle agit comme j’ai dit de la biche. Quand ils sont en rut, ils chantent très désagréablement, comme une chèvre que les chiens tiennent. Quand ils fuient à leur aise, ils vont toujours sautant, mais quand ils sont las ou que les lévriers les chassent, ils courent parfois, trottent ou vont au pas, et parfois se hâtent et ne sautent pas. Certains disent du chevreuil qu’il a perdu ses sauts et c’est mal parler, car toujours il cesse de sauter quand il est bien pressé et aussi quand il est las. Quand il fuit au commencement devant les chiens, il fuit, comme j’ai dit, en sautant et tout hérissé et le cul et les fesses rebroussés et bien blancs. Et quand il a fui longuement, il fuit le poil tout aplani et n’est point hérissé et le cul n’est pas si blanc. Quand il ne peut plus avancer, il se rend dans un ruisseau. Et quand il l’a bien longuement battu ou amont ou aval, il demeure dans l’eau sous quelque racine, si bien que la tête seule émerge. Et il arrivera que les chiens et les veneurs passeront dessus ou à côté sans qu’il se bouge; car, bien que ce soit folle bête, il a assez de malice et de subtilité pour se garantir. Il va très vite, car à peine au sortir de son lit, il se mesurera avec une paire de lévriers. Ils demeurent dans les épais buissons ou dans les fortes bruyères, dans les genêts ou les ajoncs et volontiers en haut pays où il y a des vallées et des collines, et parfois en pays plat. Leurs faons naissent échiquetés, comme ceux des cerfs; et ainsi que les cerfs mettent leurs bosses la première année, ils portent déjà leurs fuseaux et leurs broches avant d’avoir un an. Le chevreuil ne s’écorche et ne se dépèce pas comme un cerf, car il n’a point de venaison qu’on doive saler. Et parfois aussi on la donne aux chiens, ou tout, ou partie. Ils vont à leur pâture, comme les autres bêtes, le soir, et, le matin, ils s’en vont pour demeurer ailleurs. Le chevreuil se tient et demeure volontiers en un pays, été comme hiver, si on ne lui cause pas d’ennui.