Le Daim

Le daim est une étrange bête, et bien que beaucoup de gens en aient vu, tous n’en ont pas vu; c’est pourquoi j’en veux parler. Il n’a point le poil comme le cerf, car il y a plus de blanc, ni la tête non plus. Il est plus petit que le cerf et plus grand que le chevreuil. Sa tête est paumée de longue ramure et porte plus de cors que celle d’un cerf. On ne pourrait bien la décrire sans la peindre. Ils ont la queue bien plus longue qu’un cerf; ils portent aussi plus grande venaison que ne fait le cerf, selon leur taille. Ils naissent à la fin de mai; et, bref, toutes leurs natures sont à la manière du cerf, sauf pourtant que le cerf va plus tôt au rut et est plus tôt en sa saison que le daim. Et sur tous les autres points de leurs natures, le cerf le précède aussi, car, quand les cerfs ont été quinze jours au rut, c’est à peine si le daim commence à s’échauffer. On ne fait point la poursuite avec le limier, on ne quête pas le daim comme le cerf et on ne le juge point par ses fumées comme le cerf, mais par le pied et par la tête, comme je le dirai plus en détail. Ils jettent leurs fumées de diverses manières, selon les temps et selon leur nourriture, comme font les cerfs, mais plus volontiers en troches qu’autrement. Quand les chiens les chassent, ils tournent dans leur pays et ne font pas aussi longue fuite que le cerf, car ils esquivent les chiens plusieurs fois; mais ils fuient très longtemps et toujours, s’ils peuvent, en suivant les chemins, et toujours avec le change. Ils se font prendre dans les eaux et battent les ruisseaux comme les cerfs, mais ni si malicieusement ni si subtilement, non plus qu’ils ne vont à si grandes rivières. Ils font bien longue fuite, presque autant qu’un cerf. Ils vont beaucoup plus tôt de prime saut que ne fait un cerf. Ils raient quand ils sont au rut, non pas à la façon d’un cerf, mais plus bas en faisant rouler leur voix dans la gorge. Leur nature est celle du cerf et ils ne s’aiment pas l’un l’autre; car ils ne demeurent pas volontiers là où il y a grande foison de cerfs, ni les cerfs là où il y a grande foison de daims. La chair du daim est plus savoureuse pour tous les chiens que celle du cerf ou celle du chevreuil; aussi est-ce mauvais change quand on chasse le cerf avec des chiens qui ont auparavant mangé du daim. Leur venaison est très bonne et se conserve; on la sale comme celle du cerf. Ils demeurent volontiers en pays sec et de préférence en compagnie d’autres daims, sauf du mois de mai à la fin d’août, où, par peur des mouches, ils prennent leurs buissons tantôt avec un autre daim, tantôt tout seuls. Et ils demeurent volontiers en pays haut où il y a des vallées et de petites collines. On l’écorche et on le dépèce comme un cerf.